Chapter
In a fantasy world steeped in mystery and peril. Lady Thalen, determined to save her father accused of treason.

Chapter 1 : La Fin D’une Ère

Created : 20 May 2024, at 6 a.m. Words : 9797

 

La lune immense et majestueuse se reflétait sur les eaux calmes. Debout sur la colline, je fixais l’horizon. Je sentis mes cheveux flottés autour de moi soulevés par une brise nocturne qui me fit frissonner malgré la douceur de la nuit étoilée. Mais je n’avais que faire de la morsure du froid, je désirais figer à jamais dans ma mémoire ce paysage si vivant. Je souhaitais ne faire plus qu’un avec la nature, être tout à la fois dure tels ces récifs et sereine comme ces eaux, aussi secrète que cette lune.

Je soulevai les bras, fermai les yeux et entonnai un chant, à mes côtés mon loup Altaïr hurla. Ce chant était aussi vieux que le monde, une chanson transmise depuis des temps immémoriaux. Elle parlait de la rencontre entre la terre et le ciel, comment en ne faisant plus qu’un ils avaient donné naissance au monde. Il évoquait leur étreinte magique et féconde. Cette chanson glorifiait la mère-terre ainsi que le ciel-père, pour leurs bienfaits. D’autres voix se joignirent à moi, toutefois je n’avais nul besoin d’ouvrir les yeux pour savoir qui se tenaient auprès de moi. Il s’agissait de mes âmes sœurs, comme je me plaisais à les appeler.

Je savais exactement où chacune se tenait, puisque je les avais sentis avant même de les entendre. Tillen se tenait à ma gauche, la plus jeune que nous protégions toutes, adorable Tillen qui n’était que joie de vivre et insouciance. Puis il y avait près de Tillen, Maïa, douce Maïa qui nous fédérait. Elle savait comme personne nous ramener à la quiétude et à la concorde. À sa droite se trouvait Livi, audacieuse Livi, qui était la plus âgée et la plus déterminée.

Nous nous étions prises d’amitié dès notre première rencontre quatre années auparavant et étions désormais inséparables. Nous nous connaissions et nous comprenions, parfois sans même échanger le moindre mot. Comment pouvait-il en être autrement ? Nous avions vécu côte à côte pendant ces longues années d’instruction sur l’île sacrée de Nagaël.

Je me souvenais d’ailleurs avec précision de mon arrivée sur l’île. La nuit était déjà tombée, l’éclat de la déesse lune, Orca était éblouissant, si bien que l’on distinguait parfaitement les alentours. Je m’étais placé à l’avant du bateau pour mieux examiner l’île qui se profilait à l’horizon. J’étais comme hypnotisée par l’atmosphère tandis que nous nous en approchions. Il semblait que tout devenait soudain plus paisible. Du haut de mes quatorze ans, je ressentis de l’apaisement et un autre sentiment que je ne pouvais définir. Comme si après un interminable périple, je venais enfin de jeter l’ancre et atteindre mon foyer. Je devais être là. Je n’avais jamais eu autant l’impression d’être à ma place.

J’étais tout à la fois impatiente et craintive de fouler la terre sacrée, celle qui portait l’héritage du monde de Nëmea. Je me rendais là comme toutes les jeunes femmes de ma famille avant moi pour parfaire mon éducation.

Nous accostâmes sur un petit embarcadère qui donnait sur une vaste prairie, il y avait là plusieurs bâtiments blancs. Au centre se dressait un immense temple, celui d’Alkïan, dieu du ciel et Samrah, déesse de la terre, sans nul doute. Au loin on pouvait apercevoir une forêt dense. Cet endroit à l’apparence si simple était un des lieux sacrés de notre monde, avec le temple d’or d’Aceluna sur le lac sacré Sapna, ainsi que la tour haute d’Argorh sur l’île de Virié. Sans oublier le sanctuaire de la forêt de Laurïon et la plaine de Sualana où plusieurs siècles auparavant, notre peuple avait vaincu la tyrannie, l’oppression et le mal.

En plus d’éduquer les jeunes filles, ce fut à Nagaël que l’on éduquait les prêtresses d’Alkïan et Samrah. Les prêtres et les jeunes hommes étaient quant à eux formés à Virié. Néanmoins Nagaël était différente, la légende racontait que ce fut sur son sol que Samrah était apparue aux hommes et leur avait fait don d’une terre fertile. Il avait été décidé que l’île serait un territoire réservé aux femmes. Elles étaient après tout le temple dans lequel avait lieu le miracle de la procréation, c’est par elle que le monde se renouvelait éternellement. En abandonnant Nagaël aux femmes, les hommes avaient sans doute voulu célébrer la source de toute vie. En cela ils avaient fait preuve d’une grande d’humilité, qui n’était pourtant pas une caractéristique de leur sexe. C’est pour cela que j’étais plus portée à croire que cela n’était pas venu d’eux, mais de la déesse elle-même, hypothèse plus plausible. Car lorsque j’observais mes frères et mon père, l’humilité n’était pas la première désignation qui me venait à l’esprit.

Nagaël était magnifique, je n’eus pourtant nullement l’opportunité d’admirer les alentours, car il fallait sans attendre se présenter à la Haute prêtresse, Dame Messua.

La haute prêtresse était la première servante des dieux. Il existait quatre hauts prêtres. Ils demeuraient chacun dans les quatre lieux saints, Virié, Aceluna, Nagaël et Laurïon : trois hommes et une femme. Craints et respectés, ils constituaient le lien entre les hommes et les dieux, interprétant les signes. Conseillers des rois, ils siégeaient aux conseils des sages celui-ci garantissait le respect de nos tables de lois et servaient de juge et d’intermédiaire en temps de litiges entre les royaumes.

Les Hauts prêtres avaient des dons et détenaient des capacités que peu de mortels possédaient. Je n’avais entendu que des rumeurs sur leur prétendu pouvoir, je pensais même que la majorité était exagérée ou fausse. On parlait de changer les hommes en rats ou d’arrêter le temps. Je découvris des années plus tard que plusieurs de ces rumeurs farfelues avaient été forgées par les Hauts Prêtres eux-mêmes pour impressionner le peuple et garder un certain contrôle sur eux.

On me conduisit dans l’un des bâtiments les plus imposants, jusqu’à une grande pièce, décorée de mosaïques représentant la mer, dans des nuances de bleu et de vert. La Haute prêtresse se tenait au centre, devant le feu. Je la reconnus par sa tenue plus riche que les autres. Elle se retourna dès que je fus annoncée. Je levai les yeux sur elle et m’apprêtai à les baisser, comme l’exigeait le protocole, mais j’en fus incapable.

Elle avait une peau légèrement mate. Elle n’était pas une de ces beautés classiques, aux traits harmonieux, son visage avait trop de caractère. Son plus grand atout était sans nul doute ses yeux. Des yeux immenses, pénétrants, qui me détaillaient inlassablement et semblaient lire en moi. Sa longue chevelure brune était relevée en un chignon compliqué. Je ne parvins à définir son âge. Seules de fines ridules aux coins des yeux trahissaient un long vécu, l’expérience. Quelque chose chez elle retenait le regard, comme un rayonnement qui émanait d’elle, j’étais éblouie. J’aurais pu la contempler ainsi pendant des heures, captive de cette lumière. Un sourire étira ses lèvres tandis qu’elle m’examinait sans rien dire, puis avec un geste gracieux, elle me fit signe d’approcher.

« Danaé de Thanït, soit la bienvenue à Nagaël, » déclara-t-elle d’une voix mélodieuse.

Je m’inclinai dans une profonde révérence, en espérant ne pas être trop maladroite.

« Je sais combien il est dur de quitter les siens pour un lieu inconnu, mais ici tu retrouveras une nouvelle famille, » m’annonça-t-elle.

J’acquiesçai, la séparation avec ma famille avait été douloureuse, néanmoins je ne devais pas songer à eux maintenant. Je ne voulais pas faire preuve de faiblesse devant Dame Messua. Elle s’avança lentement vers moi comme si elle craignait de m’effrayer. Quand elle saisit mes mains, je ressentis des picotements, et les poils sur mon cou s’hérissèrent. Il me parut qu’une brise s’était levé dans cet espace clos. J’en fus si troublé que je retirais prestement mes mains des siennes, surprise et choquée.

Je rougis violemment et baissai la tête tout en balbutiant des excuses. Elle prit mon menton et me releva la tête.

« C’est le Lïshen, l’énergie des êtres, la tienne semble peu commune, cela veut dire mon enfant, qu’ici est ta place. Toutefois il est tard et tu es fatiguée, nous parlerons plus tard. »

Soudain, j’eus l’impression d’avoir une poussière dans les yeux, ma vue sembla se brouiller. Je me frottai les yeux, puis les rouvris. Mais je n’étais plus au même endroit. Il faisait jour. La haute prêtresse était présente, mais dans une tenue différente. Elle me parlait sans que je ne puisse entendre ce qu’elle disait. Les battements de mon cœur s’accélérèrent et je retins un cri en constatant avec horreur que du sang coulait de sa tête. Tellement de sang, partout dans la pièce, même sur mes mains. Je me sentis faiblir, alors tout devint noir. Lorsque j’ouvris les yeux, tout était redevenu normal et je reposai dans les bras de la haute prêtresse.

« Tout va bien ma chère enfant, tout va bien, me rassura la grande prêtresse de sa voix douce, en caressant mes cheveux. »

Je ne pouvais m’empêcher de trembler, tandis que je retrouvais pied dans la réalité.

« Respire, » m’exhorta la grande Dame, ce n’était rien.

Elle semblait savoir exactement ce qui m’était arrivé. Elle m’aida à me redresser puis me tendit alors un gobelet contenant une mixture que je bus. Elle avait un goût de miel et de citron avec un arrière-goût d’amertume. Je me sentis immédiatement mieux. Je fus heureuse qu’elle ne me demandât pas de lui raconter ce que j’avais vu. Cela avait été si terrifiant.

« Cela arrive parfois sur cette terre, des visions de nos peurs et de nos cauchemars, la faute en revient à la fatigue et au stress. Ne te tourmente pas, ce n’était rien, » répéta-t-elle. « Ces visions disparaissent aussi vite qu’elles n’apparaissent, mon enfant. »

Ce n’était rien bien sûr, pensais-je, elle avait raison, elle savait mieux que moi. J’étais épuisée, le voyage avait été long. Cette terre sacrée possédait une énergie et des pouvoirs insoupçonnés. J’apprendrais avec le temps tout ce qu’il y avait à savoir. Qu’avais-je vu ? J’essayais de me rappeler de ces images, mais tout était flou et indistinct. Je secouais ma tête confuse.

« Tu devrais aller prendre du repos, » dit-elle.

« Oui, votre vénérable. La fatigue pouvait entrainer des pertes de conscience.

La rencontre fut donc brève, je n’en fus pas déçu. Je ne voulais pas commettre un autre impair et surtout m’échapper de sa présence, des choses étranges se produisaient à ses côtés, pensai-je en essayant de me souvenir de ce que j’avais vu.

Puis il fut temps de prendre congé de mon escorte et de ma gouvernante Klena. Je les regardai s’éloigner le cœur serré sachant que j’étais dorénavant seule.

Je me consolai en pensant que les femmes de ma famille, pouvaient venir me rendre visite, sur l’île sacrée, mais hélas pas les hommes.

On mena mon poulain Antares à l’écurie, j’insistai alors pour garder mon bébé loup Altaïr auprès de moi, la requête me fut aussitôt refusée, je tentai de contrôler tant bien que mal les larmes qui déjà s’échappaient de mes yeux.

« Laissez-lui l’animal, » intervint la haute prêtresse, que je n’avais pas entendu approcher.

Je m’inclinai devant elle, éperdu de reconnaissance. Je n’avais pas voulu faire de caprice, mais pour adoucir notre séparation, mon père m’avait fait cadeau d’un bébé loup capturé dans les montagnes du royaume d’Olivï. Durant le voyage qui avait duré plusieurs jours, il avait été d’un grand réconfort, il dormait blotti contre moi et il léchait les larmes qui s’écoulaient de mes joues.

Ensuite les prêtresses me menèrent vers les dortoirs. L’une d’elles m’expliqua brièvement quel enseignement extraordinaire j’allais recevoir, l’histoire de notre monde, la politique, la littérature ou encore la philosophie. On n’allait m’enseigner bien sûr, tout ce qui ferait de moi une jeune femme accomplie : la couture, la broderie, la dentelle, sa description des activités féminines me fit grimacer. J’apprendrais également à tenir une maison, présider des repas. Tout ce qui selon ma mère ferait de moi une parfaite épouse, m’ennuyait à mourir et me donnait envie de vivre en ermite au fin fond du désert de Mahindra. Je ne souhaitais pas être la parfaite épouse, c’est l’autre aspect de mon enseignement qui me plaisait.

Je saurais tout de ce dont regorge notre terre, j’apprendrais l’art de la guérison, à confectionner des remèdes. Il y avait aussi une autre instruction réservée qu’à une minorité d’élus dont l’énergie, le Lïshen était puissant. Celles-ci pouvaient apprendre grâce à leur faculté à communier avec la nature. Le monde était un grand tout où toute chose était liée, l’énergie des êtres répondait à celle de l’univers. Ces élus pouvaient communiquer avec les animaux, même les commander avec le temps. Ils avaient aussi la faculté de déplacer des objets par la pensée, ceux qui y parvenaient étaient ceux qui contrôlaient leur Lïshen. Mais la haute prêtresse n’avait-elle pas elle-même stipulé que mon énergie était peu commune ? Je n’osais même pas espérer cette éventualité juste en rêver. Toutefois, cette partie-là, demandait du temps et un travail colossal sur soi.

Forte du savoir de Nagaël et de mes capacités, je pourrais si je le souhaitais devenir une prêtresse, d’Alkïan et Samrah, les créateurs ou d’autres dieux ou déesses mineures. Devenant une prêtresse j’allais enseigner un savoir ancestral aux nouvelles générations, pratiquer l’art de la guérison, conseiller les rois et les reines. J’allais devenir un être à part, une femme indépendante et non une poupée fardée, présidant des festins sous l’œil de son époux. Je voulais beaucoup plus, je ne savais pas à quoi exactement, mais je voulais plus.

Cependant la vie de prêtresse n’était pas exempte de difficultés et de solitude, puisqu’elles étaient vouées au célibat. Cependant il s’agissait de la seule alternative au mariage. Je pensais à tout cela tandis que l’on me menait dans un dortoir à quatre lits, où il y avait déjà trois personnes qui dormaient. La pièce était assez vaste, elle sentait les herbes fraîches, les fleurs sauvages et était propre. Les lits étaient simples, pourvus de moustiquaires, qui constituaient d’ailleurs la seule intimité possible, si on pouvait parler d’intimité dans un tel contexte.

Je disposais d’un simple coffre en bois pour mes effets personnels, mes robes ici, n’auraient pas d’utilité, je disposais comme toutes les autres jeunes filles, d’un uniforme, une tunique blanche avec une longue ceinture.

Après le départ des prêtresses, je passai ma tenue pour la nuit. Je me demandai comment se portait Antares, j’avais à peine eu le temps de l’embrasser avant qu’elles ne l’emmenassent. C’était un nouveau lieu pour lui aussi, peut-être était-il effrayé. Je décidai de me glisser à l’extérieur Altaïr dans mes bras. J’avais repéré les écuries, je m’y dirigeai en essayant de me dissimuler dans les coins d’ombre. En y arrivant, je repérai l’emplacement d’Antares. L’animal me reconnut aussitôt et je caressai son encolure et ses oreilles, lui murmurant des mots rassurants. Toutefois je ne m’attardai pas de peur de me faire prendre. Je revins donc de la même façon dans mes quartiers. Je dus patienter dans un recoin sombre, lorsque je vis deux prêtresses passer. Je fus intriguée par le sujet de leur conversation, quand j’entendis la plus âgée dire :

« Elles sont désormais toutes réunies ici. »

« C’est une telle responsabilité et elles sont si jeunes, » se lamenta la plus jeune.

« Je sais, mais elles ont été choisies. Ils ne nous restent plus qu’à prier les dieux pour elles et le monde entier, que cette menace ne se concrétise jamais » déclara la plus âgée d’un ton grave.

« Qu’Alkïan et Samrah t’entendent, » dit la plus jeune.

Une fois qu’elles se furent éloignées, je me précipitai vers mon dortoir, me glissant rapidement dans mon lit, Altaïr contre moi. De quoi ces prêtresses parlaient-elles ? Qui avaient-elles réunies ici ? Quelle était donc cette vision si horrible pour nous tous ? Altaïr grogna, interrompant mes pensées. À quoi cela servait de me poser des questions sans réponses, peut-être pourrais-je en apprendre plus de mes compagnes de dortoir.

« Voici notre nouveau chez nous Altaïr, » murmurai-je à l’animal en lui caressant les oreilles pour le calmer.

Demain je serais officiellement une novice. Je m’endormis avec peine écoutant les respirations autour de moi.

Le lendemain matin, je fus réveillée par des chuchotements, quand j’entrouvris les yeux, je vis deux têtes penchées au-dessus de moi.

« Vous croyez qu’elle est réveillée ? » Demanda l’une d’elles.

« Je trouve qu’elle a de beaux cheveux, aussi noirs que le plumage d’un corbeau » commenta une autre.

J’ouvris complètement les yeux.

« Moi je préfère ses yeux, ils ont la couleur de l’ambre, » remarqua quelqu’un.

« Poussez-vous voyons et laissa-la respirer, » commanda une voix impérieuse.

Soudain l’une d’elles poussa un cri en voyant la tête d’Altaïr.

« Mais c’est un loup, il faut le sortir d’ici immédiatement, » dit-elle.

« La haute prêtresse m’a autorisé à le garder, il n’est pas dangereux, c’est juste un bébé, » expliquai-je en me redressant.

« Mais c’est quand même un loup, » ajouta la jeune fille effrayée qui désormais se dissimulait derrière sa camarade.

« Bon, laissez-lui un peu d’espace, » ordonna la jeune fille autoritaire. « Je m’appelle Livi, j’ai quinze ans, je suis arrivée il y a une lune, je viens du désert de Mahindra. Je suis chargée de t’expliquer le fonctionnement ici. »

Elle ne semblait pas peu fière de cette responsabilité, elle était grande pour son âge, longiligne, elle se tenait bien droite. Elle avait une peau brune, qui me fit penser au caramel, avec deux longues tresses noires et des yeux marron de chat. J’admirai son maintien, je n’avais vu que très rarement autant d’assurance, chez quelqu’un d’aussi jeune.

« Et voici Tillen, elle a treize ans, elle vient du royaume de Dirïa, » dit-elle en me désignant la jeune fille, qui plus tôt fut apeurée par Altaïr.

C’était une jeune fille blonde encore dans les rondeurs de l’enfance avec de grands yeux bleus et un sourire perpétuel sur les lèvres, quand elle n’était pas craintive.

« Elle, c’est Maïa, » poursuivit Livi, elle a quatorze ans et vient de Tovelin.

Maïa était une jeune fille brune au regard clair, possédant une longue chevelure qui descendaient presque jusqu’à mi-cuisses. Cela devait demander beaucoup d’entretien.

« Et toi comment te nommes-tu ? » Demanda Maïa.

« Danaé et j’ai quatorze ans, je viens du royaume de Thanït et lui c’est Altaïr, » déclarai-je en désignant la boule de poil qui commençait à grogner.

« Il faut te dépêcher, » ordonna Livi, « les prêtresses ne supportent pas que nous soyons en retard. »

Je sortis du lit alors qu’un son de cloche se fit entendre. Elles m’aidèrent à trouver mon uniforme et à me changer, elles étaient déjà toutes prêtes.

Après de rapides ablutions, nous nous rendîmes au réfectoire pour le petit déjeuner, qui se composait d’une bouillie d’avoine et de pain. Je ne pus finir mon repas, car nous étions déjà en retard pour la première leçon. Au fil de la journée, différentes classes se succédèrent, comme la broderie ou le soin des animaux. C’était étrange de passer d’un lieu paisible pour la broderie, à un enclos odorant pour prendre soin des chèvres. Le travail n’était pas très difficile et requérait des compétences que les filles m’aidèrent à acquérir. Tout le monde était à l’ouvrage dans une ambiance joyeuse, chantant et plaisantant. Passer du temps à l’extérieur, libre des gouvernantes et du protocole, je ne vis pas le temps passer. Je n’avais pas à m’inquiéter des taches sur mes robes ou de ma posture. Quand la cloche de la dernière leçon sonna, comme mes camarades, je courus dans le champ. Contrairement au jour précédent, je m’endormis rapidement.

Quelques jours plus tard, nous dûmes nous rendre dans un terrain d’entrainement, pour prendre connaissance des armes et apprendre à les manier, cela me surprit un peu. Je ne savais pas que cela faisait partie de la panoplie d’une femme accomplie ou d’une prêtresse. Ma mère et ma sœur aînée qui avaient été toutes deux éduquées à Nagaël ne m’en avaient touché mot. Notre monde était en paix depuis des décennies maintenant et les femmes de toute façon ne participaient pas au combat. Livi se chargea d’apporter la lumière à mon ignorance quant aux traditions de Nagaël.

« Le maniement des armes a été incorporé récemment à nos obligations. Les dames de Nagaël pensent que cela peut être nécessaire d’apprendre à se battre, » expliqua Livi. « Il n’est pas bon pour une femme d’être sans défense. Il y a des moments où les hommes ne sont pas là pour nous défendre. Même si l’on est une princesse entourée de plusieurs gardes. »

Elle remarqua ma surprise.

« Oui nous savons, qui tu es, j’ai entendu les prêtresses en parler entre elles, » confirma Livi.

« Je trouve que tu n’as rien d’une princesse, tu n’es pas capricieuse » observa Tillen.

Je lui souris reconnaissante de sa remarque. J’avais peur de leur réaction, et que mes nouvelles camarades décident de me mettre à l’écart.

Il n’y avait pas eu beaucoup de princesses à Nagaël dernièrement, elles allaient au temple ou les prêtresses venaient à elles. La tradition voulait que toutes les princesses y soient formées, côtoyant les jeunes filles du peuple. Cependant la tradition s’était un peu perdue au fil des années. Je tenais impérativement à m’y rendre, après avoir découvert un ouvrage sur l’enseignement de Nagaël, dans les ouvrages poussiéreux de l’historiographe de la cour. J’avais senti que l’endroit était fait pour moi. Ma mère avait d’abord catégoriquement refusé que j’allasse poursuivre mon instruction là-bas. Elle sentait sans nul doute qu’il ne s’agissait pas seulement d’y parfaire mon éducation, mais qu’au fond de moi j’avais le désir de devenir prêtresse. Ce qui pour elle était totalement inconcevable. Toutefois mon insistance et l’appui de mon père avaient fini par la convaincre. Après son accord, elle avait espéré que l’idée me sortirait de la tête.

« En venant à Nagaël, je crois que nous laissons toutes nos vies derrière nous. C’est le seul endroit au monde où nous sommes toutes égales, » dit Maïa.

« Je ne suis plus qu’une simple novice, qui s’est fait piquer par des orties, » ajoutai-je, en regardant mes mains rougies dues au ramassage de la plante pour un remède.

Je ne me sentais pas comme une princesse ici. Une semaine ne s’était pas écoulée, et j’étais convaincu qu’en me voyant ma mère aurait été mortifiée par ma transformation. Je pouvais imaginer son expression me voyant courir au soleil, pieds nus avec Altaïr, cheveux au vent et grimpant des arbres. Tillen m’avait appris comment cracher des noyaux de cerises aussi loin que possible et nous faisions des concours réguliers. Bientôt je dépasserais le maître.

« Moi cela me convient parfaitement, je veux vivre toute ma vie ici et devenir prêtresse. Je préfère ce sort que d’épouser un mari, qui voudra contrôler ma vie, » déclara Livi pleine de fougue.

Livi paraissait déjà tout connaître du métier de prêtresse, c’était la première levée et la dernière couchée après avoir lu des ouvrages sur les thèmes qui allaient être abordés le lendemain. On se tournait toujours vers elle, lorsque l’on ne trouvait pas de réponse. Moi je ne pouvais être si définitif dans mon choix, même si la prêtrise me tentait beaucoup. Il me fallait également considérer les désirs de mes parents. Les princesses, répétait ma mère, se devaient à leur royaume, leur terre, leur patrie.

« Moi un mari ne me dérangerait pas s’il s’agissait de Caynan, » confia Tillen avec un sourire béat.

« Qui est Caynan ? » Questionnai-je, ce prénom me semblait familier.

« Il est splendide, » répondit Tillen.

« Dis-moi Tillen, est-ce un art que tu cultives, l’incapacité de répondre de façon cohérente aux questions ? » la taquina Livi.

« Caynan est un chevalier d’Orzon, » déclara Tillen.

L’ordre d’Orzon rassemblait les chevaliers les plus valeureux du monde de Nëmea. Seuls les plus braves faisaient partie de ce corps d’élite. Ils constituaient une armée indépendante et neutre en charge de la paix entre les royaumes du monde. Lorsque l’équilibre de Nëmea était menacé, Le Resh, le général d’Orzon était nommé à la tête des royaumes et sa parole faisait loi. Lorsque l’équilibre était rétabli, il se devait de rendre le pouvoir. Le Resh, roi sans royaume, était donc un homme influent et respecté.

Le dernier conflit majeur remontait à une trentaine d’années lorsque, les Sulren un peuple voisin, venu du sud, avait tenté d’envahir nos contrées. La situation avait été réglée après plusieurs batailles puis par la signature entre nos deux peuples d’un traité de paix. Après cela le pouvoir des Luxens à percevoir, le futur nous avait constamment préparés à ce genre d’invasion. Les Luxens, les devins, pouvaient voir l’avenir au travers d’une pierre, le Coldran. Il s’agissait d’une pierre lumineuse trouvée dans l’océan par un pêcheur il y a un siècle de cela. Il avait été placé au temple d’Aceluna, jusqu’à ce qu’un homme venu en pèlerinage au temple ne vit le futur en la touchant, devenant le premier Luxen.

« Mais Caynan est avant tout le fils de la Haute prêtresse. On ignore qui est son père. Les rumeurs les plus folles courent sur son géniteur, » expliqua Maïa. « Certains disent que c’est un roi. »

« Il a la prestance d’un prince et c’est, parait-il, un combattant hors pair, » continua Livi.

« Je ne savais pas que la Haute prêtresse eut un fils, » déclarai-je abasourdi tout en massant mes mains douloureuses.

« Laisse tes mains en paix, » ordonna Maïa, « cela n’y changera rien, nous prendrons du vinaigre aux cuisines, cela te soulagera. »

« Du vinaigre, cela aide ? » m’étonnai-je.

« Il y a beaucoup de choses que tu ignores, mais tu apprendras, » déclara Livi en souriant, « tu apprendras. »

Grâce au temps et à mes amies, j’avais en effet appris. Ces années étaient passées si vite. La solitude, les doutes s’en étaient allés, j’avais recréé ma propre famille. J’étais arrivée timide et pleine d’appréhension pour devenir une jeune femme accomplie. J’avais découvert que je pouvais être plus que cela, mon Lïshen n’était pas commun, la haute prêtresse l’avait su dès notre première rencontre. Je pouvais être prêtresse, je pouvais être cette femme indépendante, il me faudrait juste travailler dur encore et toujours, jusqu’à la maîtrise de mon énergie. Tout était possible.

Pendant trois ans nous avions appris à coudre, tisser, filer et broder. Nous avions étudié les sciences, etc. Nous avions décrypté toutes les pages de l’histoire du monde, de sa création par Alkïan et Samrah à la naissance des divers royaumes. Puis tandis que beaucoup s’en retournaient dans leur foyer après les trois années traditionnelles d’instruction, nous étions demeurées une année de plus pour compléter notre éducation dans d’autres domaines, puisque nous possédions les prédispositions nécessaires. Nous avions alors appris à décoder les signes venant de la nature, à comprendre les animaux, leur parler dans la langue sacrée des anciens et les apprivoiser. Nous pouvions avec exactitude prévoir le temps, annoncer des récoltes abondantes. Nous nous étions perfectionnées dans l’art des remèdes et de la guérison. Surtout, nous avions appris à déplacer les objets par la pensée, sentir les choses avant qu’elles ne se produisissent, comme prévoir là où un adversaire allait porter un coup durant un combat. Nous étions douées, nous répétait la haute prêtresse, ce qui nous donnait une plus grande responsabilité. Cependant le chemin était encore long.

Mais aujourd’hui nous devions quitter un lieu qui avait été notre foyer pendant toutes ces années. En effet, après quatre ans, la première phase de notre instruction était achevée, la deuxième phase était réservée à celles qui souhaitaient embrasser la voie de la prêtrise. Toutefois, pour évaluer la détermination et la volonté des prétendantes, une épreuve subsistait. Il nous fallait quitter le sanctuaire qu’était l’île et demeurer dans le monde pendant une année, douze lunes. Si après avoir vu toutes les tentations et les plaisirs qu’offrait le monde, nous n’y succombions point, alors nous pourrions revenir à Nagaël. Ainsi pourrait débuter l’apprentissage final, qui recelait de mystères, de secrets et qui nous octroieraient un pouvoir que peu de gens possédaient. Toutefois le mode de vie était difficile pour les prétendantes, car à Nagaël, nous étions coupés de tout.

Cependant je savais que par tentation on entendait surtout les hommes, les élans du cœur, car c’était l’une des raisons principales pour laquelle, celles qui désiraient devenir prêtresse ne revenaient pas dans l’île sacrée. J’abandonnerais avec plaisir mes atours de princesse et la vie ennuyeuse de la cour. De plus je ne pensais pas qu’il existait un homme assez extraordinaire pour me détourner de mon désir d’apprendre un savoir ancestral et mythique. Malgré cela revenir après les douze lunes ne constituait pas la victoire, puisque seul le temps nous apprendrait si nous pouvions aller jusqu’au bout.

Debout sur cette colline, entourée de mes sœurs, j’étais persuadée qu’ici était ma place et nulle part ailleurs.

Nous chantâmes d’une même voix pleine d’émotion. Puis nous terminâmes notre chant par un cri retentissant qui déchira la nuit. En réponse le vent souffla si fort qu’il sembla nous soulever. Alors nous ouvrîmes les yeux, nous nous regardâmes et rîmes aux éclats.

Nous nous jetâmes dans les bras les unes des autres. Puis nous roulâmes dans les herbes épaisses, riant à gorge déployée.

Je m’allongeai ensuite sur l’herbe et regardai les étoiles, imité par mes compagnes. Combien de fois étions-nous venues sur cette colline, toute ensemble, après l’heure du coucher pour discuter et promettre de ne jamais nous quitter ?

« Dame Syllen disait souvent qu’un voyage était toujours une aventure, » dis-je.

« C’est vrai, » répondit Maïa, « car même si l’on connaît la destination, le chemin et ce que l’on va découvrir à l’issue du voyage, constituent toujours un peu l’inconnu. »

« Elle aimait beaucoup trop le vin, » commenta Tillen avec reproche.

Nous rîmes toutes, nous remémorant notre ancien professeur. Une femme sage, mais qui n’avait pour seul défaut que d’un peu trop affectionner le vin, ce qui lui donnait des somnolences en plein milieu de ses classes. Ainsi nous avions l’opportunité de nous échapper quelques instants. Quand elle retrouvait ses esprits, nous étions déjà revenues à nos places et affichions un air concentré.

« Avez-vous peur princesse Danaé de retourner dans votre palais, la vie de paysanne vous sied-elle mieux ? » me demanda Livi moqueuse.

« Disons que j’ai vécu une partie de mon existence en paysanne comme tu dis. La paysanne est plus libre, sa vie a moins de contraintes. Cela va me manquer. Vous allez me manquer, » commentai-je.

« De grâce, ne commençons pas les larmoyants adieux, » supplia Livi.

« De toutes les façons, nous nous reverrons pour le mariage de ta sœur Danaé, » commenta Maïa.

En effet Elmide allait épouser dans quelques semaines le prince héritier du royaume d’Antiorh mitoyen au nôtre. Le roi et surtout la reine ne regardaient pas à la dépense pour les noces de leur fille aînée. D’après ce que m’avait conté ma petite sœur Mahssïa, ma mère désirait quelque chose de phénoménal. Il ne s’agissait pas seulement de marier sa fille, mais de montrer à tous les autres royaumes, combien Thanït était prospère et puissant.

En apprenant la nouvelle, je m’étais empressée d’informer ma mère que mes amies devaient être obligatoirement sur la liste des invités. Elles en avaient été très excitées, surtout Tillen.

« Quant à moi, je vous écrirai tous les jours, » promit Tillen.

« Tu auras beaucoup de temps à perdre, » lui dit Livi.

« Tu n’as pas de cœur, » rétorqua Tillen.

« Bien ! » coupa Maïa, « moi j’ai apporté quelque chose, elle prit le sac posé à ses côtés et en sorti une bouteille de liqueur de pomme et des gobelets. « Je crois qu’il est temps de trinquer, » lança-t-elle.

Maïa nous tendit à chacune un gobelet, et le remplit de liqueur, puis leva le sien.

« Je bois à un futur prometteur, aux amitiés indestructibles » dit Maïa.

« Je bois à la paix, aux relations nouvelles et aux aventures » ajouta Livi

« Je bois aux années passées et à l’expérience engendrée, » déclarai-je

« Je bois à nos futures unions, » annonça Tillen.

Nous nous tournâmes toutes vers elle dans un même élan avec consternation.

Il ne s’agissait nullement d'une surprise, Tillen n’avait pas le désir d’être prêtresse, elle voulait un mari et une dizaine d’enfants.

« Eh oui, » affirma-t-elle toute rougissante, « je veux me marier avec Maudin. »

« Ce jeune homme que tu as rencontré l’été dernier lors des funérailles de ta grand-mère ? » interrogea Maïa.

« C’est cela, » répondit Tillen, « nous nous écrivons régulièrement. »

« A-t-il fait sa demande ? », questionnai-je, impatiente.

« Pas encore, » répondit Tillen.

« Donc tu vas te marier avec un homme qui ne te la pas encore proposé, » conclut Livi.

« Il va la faire j’en suis persuadée, » affirma Tillen pleine de certitude.

« En es-tu sure ? » intervint Maïa, « vous ne vous êtes pas beaucoup vus ces dernières années. »

« Nous sommes des amis d’enfance, nous nous connaissons suffisamment, » dit Tillen, je le sais, je le sens dans ma chair, nous sommes faits l’un pour l’autre.

« Tu le sens dans ta chair ? Et si tu te trompais ? » suggéra, Livi.

« Je ne me trompe pas, » insista Tillen.

« Nous verrons bien, » déclara Maïa.

« Oh ! Toi tu dois être sure de toi, mais lui j’en doute, car qui voudrais de toi mademoiselle, j’ai mouillé mon lit jusqu’à quatorze ans, » ajouta Livi.

« C’est faux, » cria Tillen folle de rage, « en Garde ! »

Elle prit un bout de bois près d’elle tandis que Livi faisait de même. Maïa leva les yeux au ciel, tandis que je les observais en secouant la tête. Nous nous installâmes toutes deux plus confortablement, et commençâmes à boire nos liqueurs. Maïa constata que la lumière nous faisait défaut, elle s’assit en tailleur, ferma les yeux en joignant les mains.

« Lucrïa, » s’écria-t-elle en écartant les mains. Tandis qu’un souffle soudain soulevait ses cheveux, le Lïshen palpitant autour d’elle.

Alors des centaines de lucioles s’approchèrent attirées vers elle. Soufflant sur elles, Maïa les dispersa ensuite de part et d’autre de l’endroit où nous nous trouvions pour qu’elles propagent leur lumière, nous étions ainsi plus éclairées.

« Merci, » dis-je, « je peux enfin distinguer la couleur de ma boisson. »

« Je suis heureuse de voir que je parviens à n’attirer que les lucioles et non les moustiques également, » déclara Maïa.

Nous rîmes toutes les deux en songeant à nos débuts d’apprentissage. Il nous avait fallu tant de temps pour obtenir de tels résultats. Des heures de pratique, à maîtriser notre énergie, afin qu’elle s’unisse à celle de l’espace, du tout, de la nature, pour se fondre en elle et devenir une partie d’elle, afin de s’en servir. Cela n’était pas chose aisée, l’univers ne se laissait pas facilement dompter. Une intrusion devait se faire avec sérénité, le pratiquant devait faire preuve d’humilité, mais aussi d’un contrôle rigoureux de lui-même. Car si nous étions perturbés par des émotions, en nous connectant à la nature, nous risquions de l’affecter également, créer un déséquilibre dans l’Univers auquel nous appartenions tous.

Nos deux amies s’échinaient toujours dans leur combat stérile, s’égosillant dans des cris d’attaques, menaces de souffrances terribles et de damnation éternelle. Il ne servait à rien d’intervenir, elles allaient se fatiguer bien assez tôt. Ayant toutes les deux la capacité de prévoir les coups de leur adversaire, le combat serait sans vainqueur comme toujours. De plus ce pouvoir requérait beaucoup d’énergie, donc elles s’épuisaient plus vite. En effet, quelques minutes plus tard, après avoir paré leur coup respectif, elles d’écroulèrent toutes deux à nos côtés à bout de souffle. Je mis à chacune leur verre de liqueur entre les mains.

« J’ai gagné, » annonça Tillen haletante.

« Buvons donc aux futures noces de Tillen et à son bonheur, » déclarai-je.

Livi me lança un regard mauvais tandis que je portai ma liqueur à mes lèvres. Nous trinquâmes encore et bûmes la bouteille entière, mais le son d’une cloche nous rappela qu’il était temps de retourner à nos devoirs.

Alors dans un même élan nous dévalâmes la colline afin d’arriver à temps pour les rites qui rendaient hommage à la déesse Lune, Orca. Nous n’eûmes pourtant pas l’occasion de débuter avec les autres les cérémonies, car déjà une des prêtresses nous avertit que nous étions convoquées auprès de la Haute prêtresse. Nous nous regardâmes un instant affolées, nous demandant si la haute Dame était au courant de notre dernière escapade sur un îlot avoisinant, il y a deux jours. Nous avions pourtant été prudentes. Avec le temps et l’expérience, nous avions appris à ne pas laisser de traces. Remettant de l’ordre dans nos tenues, nous hâtâmes le pas pour rejoindre ses appartements.

Un grand feu brûlait dans l’âtre, comme toujours je ressentis une certaine appréhension en pénétrant les lieux. Je ne m’étais rendue que très rarement dans ses appartements.

La Haute prêtresse était toujours aussi impressionnante et les années ne semblaient pas avoir d’emprise sur elle. Assise derrière un grand bureau de bois, la grande dame était occupée à sa correspondance. Elle ne releva pas la tête à notre arrivée. Nous nous tenions bien droites, attendant qu’elle s’exprimât. Après de longues secondes qui parurent des minutes, Dame Messua daigna enfin nous accorder un regard.

« Suivez-moi, » ordonna-t-elle en se levant.

Nous la suivîmes dans une seconde pièce qui donnait sur un jardin intérieur, l’air embaumait le jasmin et le lilas. Nous n’avions jamais mis les pieds dans cette partie de ses appartements. Il y avait plusieurs pièces autour du jardin. Elle nous conduisit dans une pièce au plafond haut, en voûte, décoré d’une carte des étoiles et des constellations. Les portes-fenêtres ouvertes sur le jardin laissaient passer une brise fraîche. La lumière des bougies donnait à cet endroit un aspect presque onirique.

La haute prêtresse prit une torche et enflamma la grande vasque au centre de la pièce. De hautes flammes apparurent. Elle les observa, comme hypnotisée, semblant oublier notre présence, le regard rivé sur les flammes, offrant ses mains à la chaleur du feu. Tandis qu’elle était perdue dans sa contemplation, j’en profitai pour l’observer, comme toujours fascinée. Elle semblait remplir tout l’espace de sa présence. Il se dégageait d’elle une aura de paix, quelque chose de rassurant qui donnait envie de se blottir dans ses bras.

On racontait qu’elle était apparue à Nagaël une nuit, ayant fait le voyage seule. Elle ne quitta l’île que lorsqu’elle fut nommée Haute prêtresse. Beaucoup vantaient son talent extraordinaire. Comme si elle avait su ce que je pensais, elle releva la tête et croisa mon regard, un sourire narquois sur les lèvres. Je me tins bien droite, devant celle qui m’avait été pour moi, une mère et un père, intransigeante, mais toujours juste.

« C’est la fin d’une ère mes enfants, la fin de votre enfance et le début de votre vie d’adulte, votre vie de femme » commença-t-elle enfin de sa voix mélodieuse. « Peu importe l’existence à laquelle votre étoile vous prédestine, vous êtes à jamais gardienne d’un savoir qui existe depuis l’aube de la vie. J’ai vu chacune de vous évoluer et je suis fière de ce que vous êtes devenues. Vous êtes sans nul doute digne du service d’Alkïan et Samrah. Pour marquer mon estime, j’aimerais vous faire un cadeau. »

Elle prit alors un coffret de bois près d’elle et sortit quatre colliers avec des pierres, couleur ocre.

« Voici mes enfants, des pierres qui viennent de cette terre, pour que jamais vous n’oubliiez votre appartenance à cette île et à cette famille qui est désormais la vôtre. Elles vous protégeront. »

Elle se dirigea vers Tillen et lui passa le premier collier autour du cou.

« Voici pour toi Soa Tillen. Béni sois-tu gardienne. » La haute prêtresse lui baisa alors le front. Tillen était aux anges, elle se tourna vers nous avec un sourire béat. Elle tenait entre ses doigts, la pierre qui avait des reflets d’or à la lumière.

Soa signifiait gardienne dans la langue sacrée, c’était le rang précédent, celui de prêtresse. Ce titre était réservé aux personnes avec un grand potentiel. Dame Messua se tourna ensuite vers Maïa.

« Voici pour toi Soa Maïa. Béni, sois-tu gardienne. »

La main de Maïa trembla tandis qu’elle recevait cet hommage. Éperdue de reconnaissance, elle baisa la main de la grande prêtresse.

Puis ce fut le tour de Livi, qui déjà inclinait la tête avec révérence. Elle était sans nul doute la plus déterminée d’entre nous à être une Prêtresse d’Alkïan.

« Voilà pour toi Soa Livi, béni sois-tu gardienne. »

Livi saisit la pierre entre ses doigts, la regarda et fit ensuite une profonde révérence, la Haute prêtresse la releva. La Dame se tourna ensuite vers moi, avec le dernier collier.

« Ceci pour toi Soa Danaé. Béni, sois-tu gardienne. »

Je baissai les yeux contemplant la pierre, qui semblait si chaude contre ma peau nue.

La grande prêtresse me releva le visage et caressa ma joue.

« Partez gardiennes avec ma bénédiction. Soyez pour toujours digne de l’héritage de Nagaël. Portez haut toujours les valeurs des gardiennes, justice, tempérance, courage et sagesse. N’oubliez pas que Nagaël n’est pas seulement un lieu, mais une idée, un esprit immortel. Cette île vivra pour toujours dans vos cœurs. J’espère que vos pas vous garderont loin des sentiers obscurs, et vous tiendront dans la lumière. J’attends avec impatience celles d’entre vous, qui reviendront dans douze lunes. Puisse Samrah éclairer votre chemin et AlKïan et guider vos pas. »

« Béni soit leur nom, nous partons sereines, » annonça chacune d’entre nous.

Nous quittâmes alors les lieux, radieuses pour nous rendre vers le temple pour les rites d’Orca.

« Cela ne fait que me conforter, » déclara Livi, c’est ce que je désire, je veux être une prêtresse.

« Et tu le seras, il n’y a qu’à passer l’ultime épreuve » assura Maïa.

« J’espère qu’elle ne sera jamais haute prêtresse », murmura Tillen, « elle ferait fuir toutes les novices avec son niveau d’exigence. Quoi vous êtes là depuis deux jours et vous ne connaissez pas encore par cœur les mille pages du livre des remèdes ? » Ajouta-t-elle en singeant Livi.

Cela nous fit toutes éclater de rire, sachant à quel point Livi pouvait se montrer pointilleuse et exigeante. Pour elle, avoir fait de son mieux n’était nullement une consolation si cela résultait par un échec.

Nous nous rendîmes donc vers le temple pour participer aux rites à Orca. À l’entrée du temple, nous prîmes chacune une torche, et suivîmes les autres prêtresses, novices pour allumer nos torches. Ensuite une prêtresse adressa une prière à Orca.

« Notre éternelle dévotion à toi Orca, déesse de la lune qui illumine la nuit… »

Mais je n’écoutais plus, je pensais à mon retour auprès des miens, et à ce que cela impliquait, la séparation qu’elle exigeait. J’étais attachée à cette île, elle m’avait vu grandir, elle m’avait façonné. Arrivée sur cette île résignée, j’avais désormais de la peine à la quitter. Le monde au-delà de l’île me semblait si lointain. Toutes les fibres de mon être appartenaient à ce lieu. Je n’avais revu ma famille qu’épisodiquement durant ces quatre années et seulement les femmes. Nous ne communiquions principalement que par lettre. Je ne les avais pas vues depuis une année maintenant. Je pensais mourir de chagrin quand je les avais quittés, et je me sentais un peu coupable d’avoir si parfaitement géré leur absence. Après tout, le temps n’avait pas changé cet inaltérable amour que je leur portais. Ils étaient à chaque instant avec moi. Je brûlais de tous les retrouver, père, mère et les autres. J’avais hâte de sentir encore le parfum de ma mère et me blottir dans les bras vigoureux de mon père.

Je fus ramenée à la réalité par un coup de coude de Livi, déjà la prêtresse présentait les offrandes à la déesse de la lune. Sa statue immense se tenait majestueuse et altière. Elle représentait une femme magnifique aux traits fins avec un serpent qui s’enroulait autour d’elle. Elle était l’incarnation de la beauté même, source de séduction. Dans tous les royaumes de Nëmea, les femmes offraient des dons à Orca, pour qu’elle les rendît irrésistibles et fortes. Tandis que les hommes lui donnaient des offrandes pour être éternellement virils. J’unis ma voix aux autres pour répéter les louanges à Orca. Puis en procession, torche à la main, nous nous dirigeâmes en chantant vers la source sacrée. Arrivées à la source, nous nous baignâmes nues à la lueur de la lune. Nous chantâmes encore, nos voix se répercutant dans la nuit.

Puis je m’allongeai nue sur un rocher, un peu à l’écart du groupe. J’aimais cette liberté dans l’île, cette sensation d’être aussi libre et sauvage que les animaux de la forêt. Je fixais plusieurs petites pierres, je me concentrais sur elles, comme si elles étaient les uniques choses dans mon univers. Ensuite lentement elles se soulevèrent du sol, elles dansèrent dans les airs pendant plusieurs secondes. Enfin les pierres retombèrent tandis que je reprenais mon souffle, j’avais tenu plus longtemps que la dernière fois, néanmoins je progressais lentement. Dans un an grâce à l’enseignement que je recevrais, je pourrais faire bien plus. J’entendis Tillen qui criait mon nom, déjà il était temps de rentrer vers les dortoirs, car demain il faudrait quitter l’île.

La gaité laissa place à un silence grave, alors que nous entrâmes dans notre dortoir. Nous étions chacune perdues dans nos pensées, songeant au départ proche. C’est dans une atmosphère morose que nous fîmes nos bagages. On n’entendait que le bruit des coffres qui s’ouvraient et se refermaient.

Livi brisa le silence quand elle trouva un document dans un de ses coffres, elle parcourut le texte qui s’y trouvait rapidement et se mit à rire.

« Vous vous souvenez, » commença-t-elle, « lorsque nous nous sommes échappées pour assister aux feux d’Arreïs. »

Les feux célébraient le solstice d’été, et nous nous étions rendues à une fête villageoise sur une petite île voisine. Nous avions bu du vin, festoyées et dansées, après les célébrations de Nagaël.

Notre escapade n’était hélas pas passée inaperçue. Nous étions rentrées à l’aube, les joues rosies et nos coiffes défaites, habillées en simples paysannes, tentant d’être aussi discrètes que possible. Toutefois la Haute prêtresse accompagnée d’autres prêtresses nous attendait dans le dortoir.

L’explication à fournir si nous étions prises était de prétendre que nous étions allées sur la plage allumer un feu pour le solstice et que nous nous étions endormies là. Mais l’odeur du vin qui émanait de nous avait sans doute compliqué les choses.

« Où étiez-vous ? » interrogea placidement la haute prêtresse.

Nous ne répondîmes rien et baissâmes nos têtes. Alors elle se dirigea vers Tillen et lui souleva le menton.

« Ma chère enfant dit moi où vous êtes allées. »

Nous nous sûmes immédiatement perdues, car Tillen était incapable de feindre, et d’autant moins à la haute prêtresse qu’elle craignait. Pour ajouter à notre malchance, Tillen était la plus éméchée, ce qui n’augurait rien de bon.

« Allez parle ma fille, » insista Dame Messua d’une voix étonnamment douce.

Tillen se tordait les mains en jetant des coups d’œil vers nous, tandis que nous lui lancions des œillades, l’encourageant à en dire le moins possible. Elle n’hésita que quelques secondes avant de tout révéler.

« Nous sommes allées au village de l’île nord célébrer le solstice d’été, nous avons bu du vin, un très bon d’ailleurs. Je me demande comment il le fabrique. Nous étions déguisées en villageoises, personne n’a su que nous venions de Nagaël, il y avait trop de monde, » dit-elle entre deux hoquets.

« Et qu’avez-vous fait d’autre ? » Demanda la haute prêtresse d’une voix dangereusement calme.

« Nous avons aussi dansé, avec de jeunes hommes et l’un d’eux m’a volé un baiser » ajouta-t-elle avec un sourire niais qui scellait notre condamnation.

Tillen se tut enfin, Livi secoua la tête, Maïa serra ses mains comme en prière et je posai une main sur mon front désemparé. La Haute prêtresse nous regarda alors tour à tour.

« Vous avez transgressé les règles de cette île, » tonna-t-elle d’une voix qui sembla se répercuter dans toute la pièce. « Vous savez pertinemment qu’il vous est interdit d’aller dans les villages alentour. Votre conduite légère est inqualifiable. »

« Ne soyez pas trop dure ma Dame, on voulait juste s’amuser, vous avez été jeune vous aussi… enfin, je crois, » hoqueta Tillen.

« Tillen de grâce, tais-toi, » ordonnai-je.

« Bien, déclara dame Messua avec un sourire, vous allez laver les murs et les sols de tous les temples et tous les dortoirs. Les cuisines ont besoin d’être astiquées de fond en comble. L’enclos des chèvres, des vaches et ceux des moutons ont grandement besoin d’être nettoyés aussi. Il faudra également arracher les mauvaises herbes de tous les potagers. Vous aiderez également à la laverie. Je désire aussi que l’infirmerie retrouve son éclat d’antan, » énuméra la haute prêtresse.

« Vous n’êtes pas sérieuse ? Il faut que vous gardiez quelques punitions, » commenta Tillen en pouffant. « Nous comptions également aller aux célébrations des vendanges à Kassis dans une lune. »

« Je vais l’étrangler, » déclara Livi, qui déjà faisait un pas dans sa direction.

« Je préfère lui arracher la langue, » ajouta Maïa.

« Il suffit ! » Coupa la dame Messua, « en plus de ces tâches sachant cela, j’ai une autre activité pour vous. Vous copierez les livres de Menosan. »

Les livres de Menosan contenaient l’histoire du monde de Nëmea. Il s’agissait de dix livres de plusieurs centaines de pages chacun au moins. Il nous faudrait des lunes pour les copier. Il nous serait désormais impossible de participer à quelques distractions que ce soit. Nous allions regarder nos autres camarades s’amuser, pendant que nous serions confinées dans la salle des manuscrits, cela allait être insupportable.

« Nous vous demandons humblement pardon haute prêtresse, pour notre conduite honteuse, » s’excusa Livi.

Puis la dame sortit du dortoir tandis que nous nous abîmions en profonde révérence.

Alors fatiguée de sa soirée et de ses confessions, Tillen se laissa tomber sur son lit en ronflant.

« En y repensant, c’est un miracle que tu aies survécu à cette nuit là Tillen, » commentai-je.

« Livi voulait t’étouffer avec ton oreiller et moi je pensais à un supplice plus raffiné, comme te brûler les doigts de pieds » poursuivit Maïa.

« Vous me l’avez assez fait payer, » dit Tillen, je pense être celle qui en ait fait le plus.

« Mais je me demande toujours comment la haute prêtresse a eu vent de notre sortie. » Questionnai-je. « Nous avions pris toutes les précautions nécessaires. »

« Nous pouvons je crois ranger la question dans les mystères de Nagaël, » répondit Livi, tout en plaçant le document dans une de ses malles.

« Nous avons une chose importante à faire, » nous rappela Maïa.

Elle alla récupérer dans le double fond de son placard, un énorme cahier. Il s’agissait de notre journal intime commun. Sur la couverture était gravé nos initiales L.D.M.T. chaque soir avant de nous coucher nous y inscrivions nos commentaires de la journée. C’était le confident de nos aventures et de notre amitié. Entre ses pages se trouvaient des plantes, des fleurs, des mèches de nos cheveux. On pouvait y trouver des petits portraits fantasques de nos enseignants, lire nos sentiments de tristesse ou de colère. Nous avions été témoins de tant de choses extraordinaires, et avions énormément appris. Nous devions y inscrire ce soir nos dernières impressions, qui concluraient notre vie de novice à Nagaël. J’observai Tillen qui écrivait d’un air concentré, puis lorsque mon tour vint je ne savais que dire. Comment concluait-on la fin d’une ère ? Je vis que mes compagnes avaient noté quelques lignes sur l’endroit où elles se trouveraient dans douze lunes. Tillen serait mariée, Livi et Maïa à Nagaël. Cependant, j’avais beau fermer les yeux et me concentrer sur le futur, je ne parvenais pas à voir l’avenir, ni même à l’imaginer. Je ne réussissais pas à me visualiser ni à Nagaël ni dans les mûrs du palais de mon père.

« Allons princesse, » déclara Livi, c’est bien la première fois que tu manques d’inspiration.

Je ne parvenais pas à voir ce que le futur me réservait, mais ce soir, j’avais une seule certitude dans douze lunes, j’aurais rendez-vous avec ma destinée, écrivis-je ne sachant quoi mettre d’autre.

Nous avions décidé d’un commun accord de conserver notre journal pour la postérité. Nous l’emballâmes dans un vêtement, puis nous le déposâmes dans un petit coffre en bois. Nous nous rendîmes alors discrètement jusqu’à notre colline, où nous avions tant de plaisir à nous réunir. Là, près d’un arbre, nous déposâmes notre boite. Puis joignant les mains pour avoir la force nécessaire, nous nous concentrâmes, plusieurs minutes et enfin la boite s’enfonça d’elle-même profondément dans la terre. Ensuite nous rebouchâmes le trou. La chose faite nous retournâmes dans notre dortoir.

Nous discutâmes toute la nuit, nous remémorant nos souvenirs. Nous ne nous endormîmes que peu de temps avant l’aube. Mais déjà il était temps de se lever, la route serait longue jusqu’à nos destinations respectives. Les adieux furent tristes, mais nous nous consolâmes à la pensée de nos retrouvailles prochaines pour le mariage d’Elmide.

La Haute prêtresse nous fit ses adieux, et nous offrit chacune des remèdes, qui pouvaient nous être utiles pour la route et dans nos foyers. Il fut alors temps de se séparer.

Toutefois, alors que je m’apprêtai à rejoindre mon escorte à l’entrée de l’île, je fus arrêtée par une des prêtresses, qui m’informa que la haute Prêtresse désirait me voir avant mon départ. Elle me conduisit dans les appartements de celle-ci et referma les portes derrière moi.

« J’aimerais te demander une faveur, Danaé » déclara Dame Messua.

Je fus surprise, mais je tentais de le dissimuler.

« Bien sûr, votre vénérable, » dis-je surprise que la haute prêtresse pensât que je puisse lui être d’une quelconque utilité m’honorais, j’étais toute encline à obéir.

« Avant de rentrer dans ton foyer, j’aimerais te confier une mission, reprit-elle. » Je souhaiterais que tu te rendes au temple d’or d’Aceluna pour remettre un objet à Kaendra, l’un des Luxen. Cependant je veux que tu me promettes le secret sur la vraie raison de cette entreprise. Il faudra que tu n’en parles à personne même à tes amies. Peux-tu me le jurer sur ton honneur gardienne ? »

Il me semblait décidément curieux qu’avec toutes les prêtresses présentes sur l’île, que la dame me confiât cette mission à moi. De plus un messager venait une fois par semaine sur l’île, pour prendre les missives pour les autres lieux sacrés, elle aurait pu le transmettre par ce biais. Bien que je fusse intriguée par cette étrange requête, je jurai.

« En étant Soa tu pourras approcher la Luxen, tu devras juste montrer la pierre à ton cou. Si l’on te demande la raison de ta visite, prétends que tu viens en pèlerinage et dans le même temps, offrir les amitiés de la Haute prêtresse au Luxen. Il est impératif que tu lui remettes ce sac en main propre. »

« Je ferais comme vous le souhaitez, ma Dame, » dis-je en m’inclinant.

Puis elle sorti d’un coffret, un petit sac de cuir qu’elle me tendit, il n’était pas très lourd et en le touchant j’eus l’impression qu’il s’agissait de pierres.

« Soustrais ce sac et son contenu à tous les regards et aussi aux tiens pour ton propre bien, mon enfant. Tu devras lui donner également mot pour mot ce message : ‘Mes souvenirs sont aussi brûlants que les flammes, et plus profonds que l’océan. Ils ne seront pas emportés par le vent, mais s’ancreront à jamais dans la terre.’ »

Je répétai le message tentant d’y voir une quelconque signification. Cependant il demeurait totalement opaque. Mais si toute cette entreprise était pétrie de secrets, je ne risquais vraisemblablement pas de comprendre ces mots. Il me coûtait pourtant de ne pas m’en ouvrir à mes amies. Peut-être que les choses auraient été plus limpides avec leur aide, mais j’avais juré et donné ma parole à la haute prêtresse de Nagaël.

« Dois-je vous envoyer une lettre pour vous faire part de la réalisation de ma mission, ma Dame ?

« Quand tu auras délivré le message et donné le sac, je le saurais, » répondit-elle simplement.

Je fus tentée un instant de lui demander comment elle en prendrait connaissance, néanmoins je me retins. Elle se rapprocha de moi et me prit dans ses bras. Elle n’avait jamais eu pour moi, ni pour aucune autre, un tel geste d’affection et je me m’abandonnais contre elle. Je me laissais aller contre son épaule. Elle prit mon visage entre ses mains, je sentis qu’elle voulut me dire quelque chose, mais après réflexion sembla s’en abstenir.

« Bonne chance, mon enfant, n’oublie jamais ce que tu as appris ici. Allez part maintenant, que Samrah éclairer ton chemin et Alkïan guider tes pas. »

« Béni soit leur nom, votre vénérable, je pars sereine, » m’inclinai-je.

Après une dernière révérence, je quittai la pièce, me dirigeant vers l’entrée de l’île. Sans m’expliquer pourquoi cette rencontre me donnait l’impression d’un adieu et non d’un au revoir. Soudain le sac de pierres pesa plus lourd dans ma main. Je le dissimulais dans la poche intérieure de ma cape, tandis que je saluais de la main certaines novices et des prêtresses. Je contemplai une dernière fois l’île, des enfants courraient dans tous les sens. Ils venaient une fois par semaine, pour la classe. Des novices se rassemblaient pour leur enseignement du jour. Un spectacle que j’avais observé des centaines de fois. Mais ce jour-là j’avais une étrange sensation au creux de mon ventre.

Arrivée à l’entrée de l’île, je montai à bord d’un petit bateau, guidé par une prêtresse, à destination du royaume de Thanït. Je caressais mon loup, Altaïr, grogna en réponse. Il avait été remarquablement calme toute la journée, sentant peut-être mon humeur. Je regardais l’île, l’observant jusqu’à ce que ses habitants, ses bâtiments et ses forêts deviennent flous et indistincts. Une vague de tristesse me frappa et des larmes coulèrent sur mes joues.


 


 


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